Par Edwin Cameron, Juge près la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud

Publié le: 28 avril 2014 | Opinions

Une vague destructrice de haine à l’encontre des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres semble prendre de l’ampleur en Afrique.

Porté par ce mouvement haineux, le Nigéria a adopté cette année des lois punitives qui pénalisent non seulement les mariages entre partenaires de même sexe, mais également l’appartenance à des organisations de défense des droits des homosexuels.

De même, l’Ouganda possède désormais une loi similaire qui punit les actes sexuels entre personnes du même sexe de lourdes peines pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité.

Les voix de la raison et de la bonne volonté doivent s’élever face à cette haine irrationnelle.

En Afrique, 38 pays considèrent l’homosexualité comme un crime. Ils s’appuient en cela sur des lois promulguées à l’époque coloniale.

Au Nigéria et en Ouganda, les pressions politiques ont néanmoins des conséquences bien plus graves. Les nouvelles lois sèment la terreur au sein des communautés lesbienne et gay, ainsi que chez leurs amis, leurs familles, leurs collègues et leurs connaissances.

Pourtant, ces lois ont un autre effet, puisqu’elles mettent en péril toutes les minorités, tous les Africains qui sont « différents ». Or, l’Afrique est un continent riche en diversité et en différences.

Le refus de célébrer cette diversité a provoqué des conflits inqualifiables, suscité des douleurs et entraîné des morts sur notre continent. La vague de haine envers les homosexuels laisse présager de la même horreur destructrice.

Les présidents du Nigéria et de l’Ouganda, Goodluck Jonathan et Yoweri Museveni, ont déclaré qu’en promulguant ces lois, ils protègent les Africains de pratiques exotiques et extravagantes.

Un autre président africain, le gambien Yahya Jammeh, a promis de tout faire pour exterminer les homosexuels dans son pays, au même titre que les moustiques vecteurs du paludisme. Cette déclaration fait écho à la sortie du président du Zimbabwe, Robert Mugabe, qui avait comparé les gays et les lesbiennes à des porcs et à des chiens.

Un mythe empoisonné

Dans chaque pays, il semble politiquement en vogue, au sein de certains groupes, de vilipender et de menacer les personnes homosexuelles. Il est encore plus courant de considérer l’homosexualité comme une importation coloniale de l’Occident.

Ce que l’Afrique a en fait importé de l’Occident, c’est l’homophobie.

En effet, il est ironique de constater que certains dirigeants africains ne voient pas que leur haine des gays et des lesbiennes est à l’image du dénigrement auquel les minorités sexuelles se sont heurtées dans de nombreux pays occidentaux.

C’est un mythe empoisonné de dire que l’homosexualité n’est pas une notion africaine. L’homosexualité est aussi africaine que l’humanité. Pourtant, les dirigeants politiques qui ciblent les minorités sexuelles véhiculent des idées fausses dans l’optique d’obtenir un soutien.

Ce faisant, ils asservissent des êtres humains. Le fait que ces lois trouvent grâce chez certains ne les rend pas justes pour autant. De plus, la pénalisation et la discrimination des personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres et intersexuées ont de graves conséquences.

Partout dans le monde, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes sont exposés à VIH de manière disproportionnée. Si l’Afrique entend sérieusement lutter contre cette maladie – qui est aujourd’hui parfaitement gérable –, elle ne peut pas se permettre d’isoler, d’éloigner et de dénigrer les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.

Leur mise à l’écart les éloigne des services de conseil, de dépistage et de traitement. Indirectement, cela signifie que le virus ne peut pas être pris en charge efficacement, ce qui nuit à l’Afrique tout entière. Tout le monde est alors plus exposé au risque.

De nombreux éléments indiquent que l’épidémie de VIH est plus virulente quand les homosexuels sont visés par des préjugés et des lois répressives.

Pour lutter efficacement contre le VIH, l’Afrique doit protéger les droits de l’homme les plus essentiels de tout un chacun. En matière de santé publique, l’Afrique doit impérativement respecter les droits de tous, y compris des populations les plus exposées au VIH.

Or, ces communautés comprennent les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les autres minorités sexuelles.

Plus nous diabolisons et isolons les homosexuels, plus nous nuisons à la population dans son ensemble. Une société fondée sur l’ignorance et la haine est une société blessée, sans espoir d’épanouissement.

Dans mon pays, l’Afrique du Sud, la publication cette semaine d’une enquête approfondie sur le VIH réalisée auprès des ménages s’avère très préoccupante. Le VIH pourrait regagner du terrain.

Stupide et sans fondement

Tous les Africains devraient œuvrer ensemble pour contrer l’épidémie avec des principes rationnels de justice et des stratégies de santé publique fondées sur des éléments de preuve. Au lieu de propager la haine, l’ignorance et les préjugés, notre continent devrait se montrer encourageant et donner les moyens aux groupes marginalisés de vivre pleinement et dans la dignité.

L’idée que les minorités sexuelles et les relations entre personnes de même sexe ne sont pas des notions africaines est stupide et sans fondement. Partout en Afrique, des personnes issues de ces communautés minoritaires proclament fièrement la vérité.

C’est le seul aspect positif de la vague de haine qui déferle actuellement : elle répond à une ouverture sans précédent de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre.

Nous ne serons pas réduits au silence et nous ne serons plus jamais invisibles.

Comme l’a déclaré l’archevêque Desmond Tutu, notre continent a déjà trop de soucis à se faire avec les guerres, les famines, la mauvaise gouvernance, la tyrannie et l’injustice. Nous ne devrions pas en plus nous soucier de la manière dont les adultes expriment leur amour mutuel.

Ce qui n’est pas africain, c’est bel et bien la pénalisation, la persécution, les poursuites, l’incarcération, le viol, la torture et le meurtre d’adultes dont le seul crime est de s’aimer. Nous devrions dénoncer haut et fort ces actes préjudiciables et garder à l’esprit une vérité poignante : ce ne sont pas tant les agissements de nos oppresseurs qui nous nuisent, que le silence des personnes de bien.

Les Africains bien intentionnés doivent faire entendre leur voix. Le droit à la justice des minorités sexuelles constitue actuellement le plus grand enjeu en matière de droits civils. Nous qui aimons notre continent, nous ne devons pas nous rendre complices des oppresseurs en gardant le silence face à cette vague d’abus grotesques. Au lieu de cela, nous devons nous unir et affirmer les valeurs africaines d’humanisme, et nous réjouir de notre diversité en tant qu’êtres humains.